Stratégies de la ferme à la fourchette et biodiversité, une absence totale de cohérence

De gauche à droite: Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission européenne chargé du Green deal; Stella Kyriakides, commissaire à la santé; Virginijus Sinkevičius, commissaire à l'environnement, à la conférence de presse de présentation des stratégies "De la ferme à la fourchette " et "Biodiversité" le 20 mai 2020 où le commissaire à l'agriculture Janusz Wojciechowski n'était pas présent.

 

Les projets européens de stratégies « De la fourche à la fourchette » et « Biodiversité » dévoilés le 20 mai ciblent la production agricole en proposant une baisse des surfaces et des intrants qui diminuerait fortement la production agricole. Outre l’absence d’étude d’impact et de considérations économiques, on constate un manque complet de cohérence stratégique. Peut mieux faire…

Dans ses projets de stratégies « De la fourche à la fourchette » et « Biodiversité » dévoilés le 20 mai dans le cadre du « Green deal », la Commission européenne, propose notamment pour l’agriculture quatre objectifs quantifiés à atteindre d’ici 2030 :

  • Baisse de 50% de l’usage des produits phytosanitaires
  • Baisse de 20% de l’usage des engrais
  • 25% de la surface agricole consacrée à l’agriculture biologique
  • 10% de la surface agricole consacrée à des usages non productifs

Avec les pratiques agricoles actuelles (sans tenir compte du progrès technique futur), ces mesures cumulées réduiraient de 30% la production française de céréales et d’oléo-protéagineux, d’après une première estimation d’Arvalis et de l’AGPB. Avec une baisse en valeur encore plus forte du fait des pertes de qualité et des risques sanitaires accrus.

Cette publication, annoncée depuis décembre, a été maintenue par la Commission européenne en dépit de la crise du Covid, dans sa logique de « relance par le verdissement » qui est pourtant loin de faire l’unanimité en Europe et ailleurs.

Les agriculteurs européens, qui viennent de montrer leur mobilisation et leur résilience dans la crise sanitaire, dont les prix de vente sont en baisse, et dont les revenus sont déjà inférieurs au reste de la population, ne méritaient pas de subir de surcroit une baisse administrative de la production.

L’approche limitée à la seule dés-intensification agricole ignore qu’il existe des moyens de produire plus vert sans baisser la production. L’amélioration des pratiques agricoles et les innovations dans les domaines de l’agronomie, du numérique, de la robotique, de la génétique et du biocontrôle peut ouvrir la voie à une agriculture à la fois compétitive, productive et respectueuse de l’environnement. Plutôt que la simple baisse quantitative des intrants, il aurait plus pertinent de proposer des objectifs et des indicateurs d’impact sur l’environnement. Mais sans doute aussi plus complexe et moins politiquement correct.

La proposition semble uniquement soucieuse de de la qualité des eaux et de la biodiversité, sans prendre en compte l’impérative limitation du changement climatique et sans préoccupation économique et sociale. Elle ignore la durabilité du secteur agricole et alimentaire. Ce n’est pas une stratégie, car elle n’est accompagnée d’aucune étude d’impact. Les quatre mesures sont en fait de simples « signaux » politiques déconnectés de leurs conséquences et de la réalité agricole.

Ce projet de décroissance de la production agricole fait également l’impasse sur ses conséquences alimentaires. L’Europe est déjà importatrice nette d’aliments. Si elle garde ses frontières ouvertes, nos importations augmenteront au détriment de la sécurité alimentaire des autres continents. Et la Russie ou le Brésil augmenteront leur production pour compenser, avec des impacts sur l’environnement bien pires qu’aujourd’hui. Si l’Europe ferme ses frontières, ses prix alimentaires augmenteront au détriment d’une population déjà affectée par la crise.

La proposition fait également l’impasse sur les conséquences pour nos agriculteurs. Que le consommateur paye ou non son alimentation plus cher, les agriculteurs ne pourront pas augmenter leurs prix car ils n’ont aucun pouvoir de négociation dans le marché face à une poignée d’industriels et de distributeurs. La baisse de production réduira donc leurs revenus et conduira à des faillites, des restructurations, la diminution accélérée du nombre de fermes et l’agrandissement des exploitations.

Une vraie stratégie européenne agricole et alimentaire devrait également fixer des objectifs et poser des trajectoires visant la neutralité climatique, la diminution des pertes dans la chaîne alimentaire, l’évolution des régimes alimentaires, ainsi que les prix et les marchés internationaux. Au-delà des mots, rien de cela dans la proposition du 20 mai. On ne peut que déplorer cette totale absence de cohérence.

Dans un moment ou la souveraineté alimentaire est affichée comme une priorité, la seule décroissance comme perspective n'est pas digne d'une politique publique. Les pouvoirs publics européens et nationaux seraient mieux inspirés de renoncer aux effets d’annonce faciles et d’engager enfin une réflexion sérieuse et cohérente sur l’agriculture et l’alimentation de demain.

Nicolas Ferenczi