Rejeter les progrès de la science engagera nos activités agricoles dans la voie de la régression

Tribune libre 28 février 2019
Un Collectif de 80 personnalités françaises :
«Rejeter les progrès de la science engagera nos activités agricoles dans la voie de la régression»


L’avenir de notre agriculture est devenu un sujet de débat passionnel. Qui n’a pas un avis sur les transformations nécessaires à notre agriculture pour répondre aux nouvelles aspirations de la société ? Mais ce qui divise peut-être le plus nos concitoyens c’est la perception du rôle de la science dans ces transformations. Comme pour l'être humain, les plantes cultivées et les animaux d'élevage sont inéluctablement la cible de nouvelles maladies, de nouvelles interactions avec le milieu qu'il est difficile d'anticiper. Bien souvent les remèdes  d'antan ne sont pas suffisants pour résoudre ces problèmes nouveaux. Le statu quo est impuissant et l'innovation incontournable. Ce besoin d’évolution de notre agriculture est exacerbé dans le contexte d’un changement climatique qui bouleverse l’écosystème (par exemple : sécheresses et inondations plus fréquentes et plus intenses) et l’écologie des ravageurs des cultures (par exemple : expansion des insectes stimulée par des températures plus élevées).

Des peurs qui favorisent les renoncements au progrès

Or, les progrès technologiques dont notre agriculture a besoin pour se transformer alimentent de nouvelles peurs. Il en est ainsi par exemple du rejet de produits chimiques pourtant nécessaires pour protéger les cultures en l’absence d’autres alternatives . Autre exemple, l’aversion d’une partie de la société à l'encontre d'une agriculture productive bloque les recherches sur les biotechnologies alors qu’il s’agit d’améliorer les plantes pour qu’elles deviennent plus « vertes », c’est-à-dire résistantes aux ravageurs ou aux maladies, afin de limiter l’utilisation des produits phytosanitaires. Ce rejet est notamment lié à l'hostilité envers ce qui est perçu comme une collusion de la science avec l'industrie. Devant les difficultés d’appréhender une complexité scientifique croissante, les décisions de nos gouvernants se prennent trop souvent en fonction de l’état de l‘opinion selon des critères essentiellement subjectifs qui, sous le couvert du principe de précaution, conduisent à renoncer à des technologies efficaces et sûres. Rejeter les nouvelles technologies et les progrès de la science engagera inéluctablement nos activités agricoles dans la voie de la régression.

La science est indispensable pour développer des innovations durables

Les progrès scientifiques et technologiques ont indéniablement permis de réduire la faim dans le monde. Depuis 50 ans, pour nourrir la population qui a été multipliée par 2,3, les progrès de l'agriculture et de l’élevage fondés sur les avancées scientifiques (dont la révolution verte des années 50-60) ont multiplié la production des céréales majeures par 3,6 au niveau mondial et, par exemple, la production de lait des vaches par lactation par 4,6. Grâce aux innovations technologiques, le rendement du blé, qui a crû lentement de 1 t/ha à 1,5 t/ha de 1800 à 1900, atteint désormais plus de 7 t/ha en France grâce successivement au développement de l’agronomie, des engrais, à l'amélioration génétique, au désherbage, à l’emploi de fongicides, d’insecticides, voire des régulateurs de croissance. De manière semblable, chez les bovins en particulier, une meilleure maîtrise des maladies grâce à des mesures prophylactiques, la sélection génétique et l’apport des biotechnologies de la reproduction ont permis des progrès remarquables pour améliorer la croissance des animaux à viande ou la production laitière (moyenne dépassant les 9 000 kg de lait par lactation en race Holstein). Néanmoins, la sous-nutrition de plus d'un être humain sur 10 est responsable de 9 millions de morts chaque année. Une étude récente de la FAO montre même que l’insécurité alimentaire repart à la hausse sous l’effet des changements climatiques qui pénalisent les rendements des cultures. Peut-on alors se permettre de renoncer à l’augmentation de la productivité des terres agricoles cultivées alors que nous avons le défi d’alimenter plus de 9 milliards d’habitants en 2050, ce qui implique d’augmenter la production agricole de 70% sans guère augmenter les surfaces, avec moins d’eau, moins d’engrais et moins de produits phytosanitaires. Ne confondons pas productivité avec  productivisme. Si on se doit d’augmenter les rendements, il faut aussi le faire en préservant l’environnement. C’est ce que Michel Griffon appelle une agriculture écologiquement intensive.

Vers une nouvelle révolution agricole plus respectueuse de l’environnement

Produire plus et mieux avec moins d’intrants et de nuisances tout en améliorant le revenu des producteurs, tels sont les grands enjeux de notre agriculture. Pour cela, le progrès scientifique ne doit pas être arrêté. Il constitue au contraire le meilleur levier pour développer notre économie agricole et aussi, de loin, le meilleur allié de l’agroécologie. Il est inquiétant que nombre de nos concitoyens ne le comprennent plus. De nouveaux efforts de recherche sont nécessaires pour améliorer la sécurité alimentaire tout en préservant notre planète. Aucun moyen de progrès, aucune  technologie ne peuvent être écartés, par principe, pour relever ces défis cruciaux pour l’avenir de l’humanité. Renoncer à ces progrès de la science, c’est comme si on abandonnait la partie parce qu’on s'estimerait incapable de la gagner. Ce serait un signe de décadence grave pour notre pays. Cette nouvelle révolution agricole plus respectueuse de l’environnement implique des efforts de recherche dans tous les domaines concernés, de la physiologie à l'écologie en passant par la génétique. Ces efforts doivent porter sur l'ensemble des facteurs impliqués (espèces d'intérêt, leurs pathogènes, ravageurs et compétiteurs) et sur leurs interactions complexes, notamment pour mettre en place des méthodes de biocontrôle. L’agriculture de demain devra nécessairement utiliser des technologies nouvelles, non seulement fondées sur les récents acquis de la biologie moléculaire mais aussi de l'agronomie, des NTIC (Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication), de la robotique, de l'intelligence artificielle, du spatial, etc.

Loin d’arrêter le progrès dans notre agriculture, il faut au contraire y favoriser l'émergence rapide des avancées technologiques qui nous permettront de ne pas nous mettre sous la dépendance de pays qui investissent massivement dans la recherche, tels que la Chine et les États-Unis. C’est aussi le meilleur moyen de redonner à nos agriculteurs confiance dans leur métier pour qu’ils retrouvent l’esprit de conquête.


Collectif « Sciences et agriculture » au 5 Février 2019

  • Bernard Accoyer : ancien président de l’Assemblée nationale
  • Christian Amatore : directeur de recherche émérite CNRS, membre de l’académie des sciences
  • Jean Audouze : astrophysicien
  • Hugues Auffray : artiste auteur-compositeur-interprète
  • Pierre Arditi : acteur
  • Jean-Louis Bernard : agronome, président de l’Académie d’agriculture de France
  • Michel Bettane : journaliste-critique de vins, membre de l’Académie du Vin de France
  • Jean Bizet : sénateur
  • Damien Bonduelle : agriculteur et président d’agriDées
  • Jean-Paul Bordes : directeur général de l’ACTA
  • Gerald Bronner : sociologue, membre de l’Académie de médecine et de l’Académie des technologies
  • Philippe Busquin : ancien commissaire européen à la Recherche
  • Philippe Chalmin : économiste et enseignant à Paris-Dauphine
  • Jean-François Colomer : journaliste, membre de l’Académie d’agriculture
  • Bernard Le Buanec : ancien directeur de recherche de Limagrain, membre de l’Académie des technologies.
  • Michel Candau : ingénieur agronome, directeur honoraire de l’ENSA de Toulouse
  • Mathilde Causse : directrice de recherche INRA, membre de l’Académie d’agriculture
  • Eric Chapelle : directeur de la Fédération nationale bovine (FNB)
  • Claude Cochonneau : président des Chambres d’agriculture
  • Marc Delos : ingénieur agronome, membre de l’Académie d’agriculture
  • Yvette Dattée : ancienne directrice du GEVES et membre de l’Académie d’agriculture
  • Jean-Pierre Decor : viticulteur, membre de l’Académie d’agriculture
  • Henri Delbard : président d’honneur de la Société nationale d'horticulture de France
  • Michel Delseny : directeur de recherche émérite au CNRS et membre de l’Académie des sciences
  • Patrice Desmarest : directeur honoraire du centre de recherche Pernod-Ricard, membre de l’Académie des technologies
  • Jérome Despey : viticulteur et président de la Commission viticole de la FNSEA
  • Jean-Pierre Digard : directeur de recherche émérite au CNRS, membre de l'Académie d'agriculture
  • Christian Dumas : professeur émérite ENS Lyon
  • Marc Fellous : docteur en médecine et professeur émérite de génétique à la Faculté de médecine de Cochin
  • Genviève Fioraso : ancienne ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche
  • André Fougeroux : ingénieur ENITA, membre de l’Académie d’agriculture
  • André Gallais : professeur émérite AgroParistech, membre de l’Académie d’agriculture
  • Anne-Marie Hattenberger : directrice de recherche honoraire, membre honoraire de l’Académie d’agriculture
  • Daniel Gremillet : sénateur.
  • Jeanne Grosclaude : directeur de recherche honoraire INRA, membre de l’Académie d’agriculture
  • Nicolas Guichard : oenologue, conseiller viti vinicole
  • François Guillaume : ancien ministre de l’Agriculture
  • David Habib : député
  • Pascale Hebel : directrice du pôle consommation et entreprises du CREDOC, membre de l’Académie d’agriculture
  • Bruno Jarry : président de l’Académie des technologies
  • Gil Kressmann : économiste et membre de l’Académie d’agriculture de France
  • Jean-Paul Krivine : rédacteur en chef de Sciences et pseudo sciences AFIS
  • François Lafitte : arboriculteur, membre de l’Académie d’agriculture de France
  • Christiane Lambert : éleveuse de porcs et présidente de la FNSEA
  • Jacques Lebrima : scénariste
  • Jean-Marie Lehn : prix Nobel de chimie
  • Constant Lecoeur : secrétaire perpétuel de l’Académie d’agriculture de France
  • Anne-Yvonne Le Dain : ingénieur agronome et ancienne députée
  • Jean-Yves Le Déaut : ancien président de l’OPECST
  • Loïc Lepiniec : biologiste et directeur de Recherche INRA.
  • René Lésel : directeur de recherche honoraire INRA, membre de l'Académie agriculture de France
  • Gérard Longuet : sénateur, Président de l’OPECST.
  • Gérard Maisse : ingénieur agronome, membre de l'Académie d'agriculture de France
  • Jacques Mathieu : directeur général d’Aurea Agrosciences et membre de l’Académie d’agriculture de France
  • Gérard Menuel : député
  • Jean-Paul Mialot : ancien directeur de l'École nationale vétérinaire d'Alfort
  • François Mitjaville : viticulteur
  • Pierre Monsan : professeur émérite INSA et membre de l’Académie d’agriculture
  • Henri Nallet : ancien ministre de l’Agriculture, membre de l’Académie d’agriculture
  • Dominique Parent-Massin : professeur honoraire des Universités en toxicologie alimentaire, membre de l’Académie d’agriculture.
  • Gérard Pascal : directeur scientifique honoraire de l’INRA, membre de l’Académie des technologies
  • Georges Pelletier : directeur honoraire de recherches INRA, membre de l’Académie des technologies
  • Jean-Claude Pernollet : directeur de recherche honoraire INRA, membre de l’Académie d’agriculture
  • Daniel Peyraube : maïsiculteur et président de l’Association générale des producteurs de maïs (AGPM)
  • Jean-Marie Pierre-Guy : consultant et membre de l’Académie d’agriculture de France
  • Hervé Pillaud : éleveur, membre du Conseil national du numérique
  • Lissa Pillu : productrice
  • Philippe Pinta : agriculteur et président de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB)
  • Jean-Robert Pitte : secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques
  • Alain Pompidou : professeur émérite à la Faculté de médecine de Cochin
  • Cathrerine Peocaccia :sénatrice
  • Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier Ministre.
  • Catherine Regnault-Roger : professeur émérite des Universités, membre de l’Académie d’agriculture
  • Nicole Roskam Brunot : viticultrice, membre de l’Académie d’agriculture de France
  • Guillaume Roué : éleveur et président d’INAPORC
  • Emmanuel Rossier : ancien directeur général adjoint des Haras nationaux
  • Franck Sander : président de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB)
  • Jean-Marie Seronie : économiste et membre de l’Académie d’agriculture
  • Bruno Sido : sénateur, ancien président de l’OPECST
  • Philippe Stoop : docteur ingénieur en économie, directeur R&D de ITK, membre de l'Académie d’agriculture
  • Gérard Tendron : ancien secrétaire perpétuel de l’Académie d’agriculture
  • Michel Thibier : ancien directeur de l’Enseignement et de la Recherche, membre de l’Académie d’agriculture
  • Bruno Tisseyre : enseignant à Montpellier SupAgro
  • Louis Touraine : député
  • Guy Vallancien : chirurgien, membre de l’Académie de médecine
  • Philippe Vasseur : ancien ministre de l’Agriculture
  • Guy Waksman : ancien directeur informatique de l’ACTA, membre de l'Académie d'agriculture de France